Sidi el Houari : Entre discours patrimoniaux et enjeux sociaux

Sidi el Houari : Entre discours patrimoniaux et enjeux sociaux

 

 Mohamed Madani
Professeur et Directeur du LAMAUS
Département d’Architecture (USTOran)

    

Régulièrement, le débat sur la situation et le devenir des centres anciens en Algérie resurgit sans que des avancées significatives sur le terrain se manifestent. L’état de dégradation des tissus urbains, dont certains quartiers sont à l’état de ruines, et la multiplication des formes de violence citadines mettent en cause les choix opérés en matière de politique urbaine et s’interrogent sur les modes de gestion des espaces traditionnels. Aujourd’hui, les discours officiels sur la sauvegarde des villes historiques comme celle de Sid el Houari ne rencontrent que scepticisme et suspicion.

Et pour cause : non seulement, les centres anciens se délitent à vue d’œil, de jour en jour, mais notre pays est en retard même par rapport à ses voisins maghrébins dans le domaine de l’expertise liée à la conservation et à la réhabilitation des centres anciens. Cet «immobilisme» se traduit par des situations et des pratiques préjudiciables à l’avancement de la réflexion et à l’efficacité de nos outils d’intervention, en vue de réaliser les projets de requalification / réhabilitation, annoncés mais jamais réalisés.

Cette situation donne des ailes actuellement aux tenants de l’urbanisme au bulldozer, relayés par certains responsables politiques et autres promoteurs, qui ne mesurent sans doute pas la portée de leurs actes et qui voudraient faire table rase de Sid-El-Houari à Oran, pour ériger à la place la ville “mondiale rationnelle”, scandée par les tours, les grands hôtels de luxe et les mégastructures commerciales. Dans ce contexte, il est légitime de s’interroger sur les causes réelles de l’évolution actuelle de Sid el Houari et de se poser des questions sur son devenir. Surtout lorsqu’il nous arrive de lire dans un journal, un article (qui a tout l’air d’être commandité) qui introduit le doute sur la légitimité de la sauvegarde de cet espace emblématique dont le gouvernement, après des décennies d’hésitation, vient enfin de reconnaître le bien-fondé de la préservation et réhabilitation.

 

Sidi el Houari : Une déliquescence programmée ?

Au lieu d’une démarche ouverte sur la complexité du réel et mobilisant les outils de la connaissance pour le maîtriser et l’orienter, nous avons les effets de la fermeture sur soi-même des institutions de planification et de gestion urbaines. La situation du centre historique de la deuxième métropole du pays illustre parfaitement le constat d’une marginalisation des acteurs de la ville et d’une démobilisation des savoirs et savoir-faire pouvant être engagés dans un projet de sauvegarde de cet espace patrimonial millénaire.

L’image globale que renvoie le “vieil Oran” est celle d’un quartier dégradé et marginalisé. En effet, la situation du cadre bâti présente toutes les caractéristiques de la vétusté et de l’absence de prise en charge : détérioration très avancée des constructions, effondrements d’immeubles, généralisation des ruines qui marquent le paysage, spéculation foncière et immobilière, dégradation et même disparition de sites classés, etc.

Ces processus sont favorisés et accentués par une dynamique de décomposition sociale (conflits de voisinage, sur-occupation et entassement, mobilité des résidents, anomie, “fléaux sociaux”, etc.) et de régression économique (disparition des métiers traditionnels et de certaines activités liées au port, chômage, paupérisation, activités informelles) qui entraînent le dépérissement progressif de cet espace mémoriel. Dans ce cadre, la disparition des savoir-faire des artisans, liés à la fabrique de la ville (restauration des constructions), se ressent de manière cruciale.

Face à une telle situation, la réponse institutionnelle reste tout à fait inadaptée et inappropriée : unilatérale, cantonnée dans un monologue exclusif «maître d’ouvrage – bureau d’études». Cette démarche exclut de fait les apports des autres acteurs concernés par le devenir de ce centre historique. Aussi, n’est-il guère étonnant que devant le rouleau compresseur de cette ville fabriquée par le “haut”, les principaux oubliés de la politique urbaine, les habitants, recourent à leurs propres compétences pour façonner et modeler matériellement et symboliquement leur cadre de vie.

Ainsi, la pratique urbanistique dominante actuellement fait aussi l’impasse sur les savoirs et savoir-faire anciens, dévalorisés et remplacés par des procédures bureaucratiques. Reposant sur une représentation qui relègue toute autre forme de savoir autre que la sienne dans les sphères de l’archaïsme, de l’irrationnel et de l’illégal, cette conception institue, comme base de fabrication de la ville, “l’omnipotence” des savoirs du politique et accessoirement celui de l’expert.

A partir de là, il n’est guère surprenant de voir disparaître les traces prestigieuses du passé et les témoignages de valeur de notre patrimoine ancestral. A la différence des pays qui ont réussi à mobiliser toutes leurs ressources (notamment cognitives et organisationnelles) et celles de l’aide internationale pour élaborer des projets urbains de sauvegarde efficients (Tunis, Fès, etc.), l’Algérie semble bien loin, comme le montre, à la caricature, Sidi el Houari, de pouvoir relever ce défi dont les enjeux multidimensionnels sont considérables.

Pourtant, les effets positifs d’une action de patrimonialisation sont aujourd’hui connus et défendus par des instances internationales (UNESCO) et nationales (institutions du patrimoine, associations). De même, l’existence de compétences nationales ou locales, qui peuvent s’appuyer sur l’expertise internationale, n’est pas une vue de l’esprit. Cependant, il est aisé de constater, malgré les discours et la règlementation (cf. la loi 98-04 du 15 juin 1998 relative à la protection du patrimoine culturel), l’absence d’une politique de protection …