par Djillali TAHRAOUI
Architecte
Pour la séance de présentation du numéro 05 de la revue MADINATI, l’équipe de rédaction fidèle à sa ligne de communication autour de thèmes et projets liés à la ville et à l’architecture, a organisé une conférence-débat sur la restauration de la chapelle de Notre-Dame du Salut (Santa Cruz – Oran). Pour ce faire, l’amicale collaboration du Diocèse d’Oran, maître d’ouvrage délégué de l’opération a été sollicitée. Elle fut efficace et constructive, puisqu’elle a permis l’invitation de l’architecte restaurateur Xavier DAVID (basé a Marseille), maître d’œuvre pour communiquer
autour du projet et aborder les aspects techniques de l’intervention et des solutions adoptées.
Mais la charge professionnelle de l’architecte ne lui laissait pas beaucoup de disponibilité et on devait s’accommoder des contraintes de son agenda. En effet, la seule disponibilité de l’architecte était pour la fin de journée (17 heures) du mardi 13/02/2018. Le choix du lieu de la présentation a été porté sur le département d’architecture de (l’UST
Oran Mohamed BOUDIAF) pour faire profiter le maximum d’étudiants et d’enseignants de cet échange qui promettait d’être fructueux. Notre appréhension de départ par rapport à l’horaire s’est vite dissipée en constatant que l’amphithéâtre Jamel KEDAH commençait à se remplir quelques minutes avant le rendez- vous.
Djillali TAHRAOUI, directeur de publication, a ouvert la conférence en présentant la Revue MADINATI, sa ligne de communication, ses champs d’intérêt et les thématiques abordées dans les éditions précédentes avant de décliner les dossiers et thèmes programmés pour les numéros à venir. Il donna par la suite, la parole au Professeur Mohamed MADANI, Rédacteur en chef de MADINATI, pour présenter le dossier compilé par ses soins qui portait sur la thématique de « l’habitat au Maghreb ». Le questionnement central se focalisait autour de la possibilité d’un compromis entre « la projection et l’usage » à travers l’analyse de différentes situationsurbaines.
La tribune a été cédée, par la suite aux invités de cette rencontre. D’abord Monseigneur Jean Paul VESCO, évêque d’Oran, qui a relaté le contexte et les conditions de prise en charge de l’opération de restauration de la chapelle de Notre-Dame du salut (Santa Cruz), en rappelant que celle-ci se trouvait, en 2014, dans un état de délabrement et de dégradation inquiétants. Cette situation a amené les autorités locales (le Wali d’Oran) à engager des travaux de sauvegarde et l’association diocésaine d’Algérie (ADA) fut invitée à conduire l’opération en tant que maître d’ouvrage délégué.
L’intervenant devait relever que « La belle aventure » de restaurer ce projet patrimonial dure depuis 4 ans en prenant en compte les premiers diagnostics. Elle tire aujourd’hui vers une fin satisfaisante grâce à l’implication et l’engagement « d’un maître d’œuvre de qualité dont l’aide fut précieuse et appréciable ». D’ailleurs, ce dernier tient à communiquer régulièrement sur son travail au cours de toutes les phases de son intervention. Cette orientation lui a fait adopter une règle : consacrer une demi-journée pour des groupes d’étudiants à chacune de ses missions mensuelles à Oran. La volonté de transmettre l’anime depuis toujours et, notamment depuis ses premiers travaux en Algérie, voilà une douzaine d’années. La conférence qu’il anime aujourd’hui sur invitation de MADINATI confirme cette démarche.
Cette introduction fut propice à l’intervention du Maître d’œuvre, l’architecte restaurateur et historien d’art Xavier DAVID qui entama son allocution par l’évocation des « prémisses » de sa relation professionnelle avec l’Algérie. Celle-ci a débuté en 2003, lorsqu’il était en charge de la restauration de la basilique Notre-Dame de la garde de Marseille et que le Recteur de la basilique Notre-Dame d’Afrique à Alger lui a demandé une expertise « spontanée » sur l’édifice de celle-ci qui était dans un état de désolation et de dégradation avancées.
Ce fut le début d’une collaboration étroite et régulière avec l’ADA qui s’est concrétisée par la restauration de la basilique Notre-Dame d’Afrique à Alger (2007-2010) suivie par celle de la basilique Saint Augustin de Annaba (2010-2013). Le site de Notre-Dame de Santa Cruz, objet de la rencontre, constitue la troisième opération du maître
d’œuvre marseillais.
Le sanctuaire de Santa Cruz, situé juste à son contrebas, lui partage relativement cette position privilégiée, mais sa peinture blanche dénote avec celle du fort et du rocher. Nous estimons que ce n’est pas la couleur adaptée pour une si belle montagne et retenons dans l’esprit de la restauration engagée l’idée essentielle de composer avec les éléments de ce paysage et notamment par la couleur… ».
Le conférencier engagea l’exposé de la partie de l’étude qui comporte les diagnostics indispensables à une bonne restauration. Il structure d’emblée, l’architecte-restaurateur a tenu à préciser qu’il allait faire un exposé pratique comme souhaité par les organisateurs. Il déroula, d’abord une série de photos sélectionnées pour aborder le contexte, en relevant les caractéristiques particulières et singulières du site : « Le massif du Murdjadjo, marque extraordinairement le site à la limite nord-ouest d’Oran, c’est une belle montagne d’un point de vue paysager
qui occupe une position stratégique, formée de roches sablonneuses dans son assise et décline toutes les teintes des ocres en la gravitant. A son sommet, le fort de Santa Cruz tient une position dominante et stratégique dictée par le souci défensif de l’époque. Son architecture a une forte qualité expressive mais ne défigure pas le paysage, elle s’y intègre parfaitement sa démonstration en se basant sur une chronologie fidèle à son intervention sur site et cela en commençant par les parties les plushautes et les moins accessibles. Commençant par la tour, il présente cette partie en relevant « […] une curiosité assez inhabituelle sur les transformations qu’a subit la tour de la Vierge fortement remaniée entre 1873 et 1950 et dont on ignore les raisons. […] Le diagnostic confirme la bonne verticalité (l’aplomb) de la tour et rassure sur la qualité de sa fondation ancrée dans le rocher. Cependant, son caractère étagé laisse
apparaître des joints horizontaux entre niveaux effilés avec mortiers friables qui nécessitent un renforcement. Paradoxalement, ces joints constituent une bonne parade antisismique puisqu’ils absorbent et atténuent
les secousses périodiques qui sollicitent le site ».
La tour, surmontée de la statue de la Vierge, procure une silhouette emblématique au site, mais celle-ci (la statue) réalisée en fonte, présente un état de corrosion très avancé. Sa dernière mise en peinture date de 1951, ses joints de surfaces, ont permis des infiltrations d’eau pluviale et favorisé une corrosion importante, à la fois extérieure et
intérieure, au fil des années. Sa restauration a été prise en charge par une entreprise spécialisée. Elle a été d’abord démontée, sa surface fut décapée et brûlée pour être restaurée et reconstituée par la suite avec une reprise rapide de peinture en époxy primaire (antirouille adhérent) et finition en polyuréthane.
L’analyse de la pierre utilisée a été faite en laboratoire et nous a renseignés sur son origine. C’est une belle pierre en grés calcaire extraite d’une carrière située au sud de « la grande Sebkha », certaines pièces ont été restaurées et d’autres remplacées… Contrairement aux idées reçues, beaucoup d’ouvrages sont réalisés en béton armé et non en pierre. C’est le cas d’une bonne partie de la tour, de la chapelle, y compris la double coupole, les poteaux, le plancher et le dallage…
Ces ouvrages ont été réalisés pour la plupart au début des années 1950, où il y avait beaucoup d’enthousiasme pour l’usage du béton. Le béton utilisé a une qualité esthétique indéniable obtenue grâce aux agrégats tirés de la colline, qui une fois malaxé, coulé et mis en œuvre est travaillé superficiellement à la boucharde pour lui donner l’apparence plastique de la pierre.
Cependant cette apparence esthétique et rugueuse comporte un certain nombre d’inconvénients puisqu’elle favorise le dépôt d’humidité dans une atmosphère chargée de sels marins agressifs et exposée à la pollution urbaine. Ces dépôts aggravent la vulnérabilité du matériau et altèrent les parties superficielles des enrobages minimes, jusqu’à atteindre les premières armatures pour les attaquer. Les techniques de coffrage et d’enrobage n’étaient pas encore bien maîtrisées à cette époque.
L’intervention sur ces parties touchées s’est faite après sondage. On vient par la suite purger et dégager les armatures corrodées, les couper pour les remplacer et injecter un micro béton dosé convenablement à la fin.
M. Xavier DAVID, enchaîna par la suite sur l’exposé de son intervention sur les galeries et l’esplanade en définissant d’abord le système constructif des galeries dont « l’ossature est réalisée en béton armé et les planchers à poutrelles en béton armé et remplissage en brique. Les problèmes d’étanchéité ont causé la corrosion des armatures des poutrelles qui ont fléchi et les briques de remplissage, ne supportant aucune dilatation, ont atteint les planchers qui se sont disloqués ». Face à cet état de fait l’architecte avait le choix entre deux options : « La première consistait à démolir totalement le plancher en gardant les poutres principales, ce qui s’annonce compliqué puisque la possibilité
d’étayer l’ensemble par-dessous n’était pas réalisable.
Alors que dans la deuxième option, on se propose à l’inverse de couler une nouvelle dalle en béton armé sur l’ancienne, en fixant sur les poutres existantes des connecteurs en fer, supportant un nouveau ferraillage et une nouvelle dalle qui va soutenir l’ancienne (par traction) tout en permettant de renforcer les terrasses. Ceci offre la possibilité de circuler sur les galeries en profitant des vues imprenables dégagées à cette nouvelle hauteur. »
C’est sur ce détail technique que se conclue la présentation de notre invité qui s’est livré par la suite, avec spontanéité et aisance, aux échanges avec le public présent. Le débat suscité était riche et intéressant avec un auditoire très hétérogène au demeurant : enseignants, étudiants, ingénieurs, architectes, membres associatifs, journalistes, fonctionnaires, entrepreneurs et quelques cadres retraités…L’ensemble est resté attentif durant toute la conférence et certains ont tenu à réagir sur un sujet qui leur tenait à cœur. Le débat sur la teinte et la couleur de l’édifice a retenu l’attention. De même, de nombreuses questions ont été posées sur l’importance du diagnostic et de la connaissance approfondie des matériaux avec l’implication d’autres experts et spécialistes. La responsabilité et l’assurance du restaurateur vis-à-vis d’éventuels désordres après réception de l’ouvrage, l’association de l’organisme de contrôle technique, la démolition du podium et la mise en lumière du site pour améliorer sa visibilité de nuit ont fait également l’objet d’un vif intérêt des présents.
Ce fut un réel moment de partage autour d’un projet architectural de restauration qui intéresse et continue à intéresser les oranais et les visiteurs d’Oran à divers degrés.
La conclusion fut prononcée par l’évêque d’Oran Monseigneur Jean Paul VESCO : « l’intérêt de ces restaurations n’est pas de rénover un lieu de culte, ni de faire revivre un passé révolu, mais de mettre en valeur des éléments du patrimoine algérien, pour les mettre à disposition des oranais qui y sont très attachés. Ces lieux ne sont pas seulement des lieux de mémoires partagées mais aussi ceux d’un avenir réconcilié. […] Le défi est de permettre aux oranais d’aujourd’hui de s’approprier le site de Santa Cruz et d’en faire un véritable lieu de rencontres. Rencontre des
personnes, des cultures, des époques. »