par Jean-Pierre FREY
Architecte-Sociologue, Professeur émérite à l’Institut d’Urbanisme de Paris, Université Paris Est-Créteil et chercheur au Centre de Recherche sur l’Habitat(UMR-CNRS 7218 : LAVUE)
& Amel HARFOUCHE
Architecte et Docteure de l’Unive sité Paris-Nanterre
« Je suis vraiment sidéré —et je l’ai toujours été— du manque total de culture des architectes. Il y a des exceptions, mais elles sont tellement rares qu’on peut presque généraliser ; on trouve des jeunes gens, des gens mûrs, des gens âgés, qui ne connaissent rien en dehors de l’enseignement stupide qu’ils ont reçu la plupart du temps à l’école, et de l’architecture à la mode publiée dans les revues. »
POUILLON (Fernand), Mon ambition, p. 63
Les réalisations, le grand œuvre ou la carrière d’un architecte font trop souvent l’objet d’un jugement esthétique, notamment dans la presse spécialisée, plutôt qu’ils ne donnent lieu à une investigation présentant la rigueur et l’érudition qu’on est en droit d’attendre d’un travail de recherche digne de ce nom, que celui-ci procède d’un laboratoire scientifique ou d’une institution d’enseignement supérieur. L’appréciation que l’on peut porter sur les qualités formelles d’une œuvre gagne à ne pas se dispenser de s’enquérir de ses conditions sociales de production par divers acteurs et de réception par les habitants, qu’il s’agisse de sa fonctionnalité ou de choix concernant les matériaux, les textures, les couleurs et une harmonie soumise aux effets de mode, toujours furtifs par définition. L’évolution des mœurs, des mentalités et la durabilité matérielle ainsi que la pérennité symbolique d’une construction doivent nous permettre de juger avec justesse des divers mérites ainsi objectivés et de rendre justice aux rôles que chaque partie prenante a pu jouer dans ce qui devient une véritable histoire dont la matière doit permettre de tirer toutes les leçons utiles pour améliorer tant la qualité des édifices que les conditions d’exercice d’un métier, celui d’architecte. Nous considérerons à cet égard que le personnage et l’œuvre de Fernand Pouillon constituent un véritable fait social total dans le sens que Marcel Mauss a donné à ce concept et nous tenterons en conséquence de dessiner les diverses pistes de réflexion qui s’ouvrent à tout chercheur scrupuleux.